UNE VIE PASSÉE À CARESSER UNE VITRE
Tu postes, tu likes, tu swipes,
tu cliques, tu scrolles, tu croules sur les notifs
et quand vient l’avalanche,
tu te bouches le nez et tu crawles
Tu surfes sur le vide,
l’iris éteint, rétine absente
Tout ce que tu touches n’a pas de poil, n’a pas de peau.
T’as 50 fenêtres ouvertes mais ton cœur se referme.
Une vie passée à caresser une vitre
gavé d’images qui ne te prendront jamais dans leurs bras,
de bombes et de bogosses trop chous
qui ne te dirons jamais «oui» sous leurs draps.
T’as tous les sons du monde dans ton casque
mais t’entends pas ta fille quand elle te dit «papa».
Tu dis que tu vibre :
mais c’est juste ton portable dans ta main.
Tu dis que tu vois -
mais c’est la caméra qui fait la mise au point pour toi.
Tu dis que tu sais -
mais tout ce que tu sais, c’est ton pote wiki qui le sait
pour toi.
Au mieux, tu sais : les tutos, les tubeurs,
les leaders, les recos.
T’es tellement réactif, tellement qu’en fait t’es réac.
Ta politique à toi, c’est trois likes sur une photo...
de qui ? de quoi ?
Tu te crois tellement hype et fine quand tu dégaines
ton phone.
Tu te crois tellement fun alors que t’es juste ce fan
qui retwitte et followe les flux
en couple dans ton couple
Puisque t’es en couple... avec toi.
Au fond, tu vis dans dix centimètres par cinq
T’habites dans ton écran et tu cherches la bonne
appli pour faire la vaisselle.
T’ouvres le robinet et, quand tu bois, l’eau a un goût de pixel.
Tu vas partout, mais tu bouges pas.
Ah ! Excuse-moi, j’avais pas compris, c’est vrai :
Tu voyages ! Tu voyages avec tes doigts...
Alain DAMASIO. Extrait «Scarlet et Novak». Ed. Rageot. 2021